vendredi 19 mars 2010

Eric Viennot vs. Mathieu Kassovitz

Cette affaire a fait grand bruit dans le petit monde du jeu vidéo et surtout dans l'encore plus petit monde du jeu vidéo français : il y a quelques temps, dans son blog, Eric Viennot avait publié une lettre ouverte dans laquelle il brocardait les cinéastes qui revendiquent des prétentions à s'emparer du média "Jeu Vidéo". En particulier, la lettre s'adressait à James (Cameron), Peter (Jackson) et Mathieu (Kassovitz). Or ce dernier a répondu en commentaire à l'article, visiblement très énervé.

Pour reprendre l'histoire du début, il faut remonter au mois précédent, où Mathieu Kassovitz donnait une interview au Nouvel Obs. Interview dans laquelle il racontait entre autre qu'il souhaite "créer un nouvelle expérience" vidéoludique en mélangeant "l'action du jeu vidéo et l'émotion du cinéma".
Pour les gens qui n'auront pas le courage de lire l'interview d'un bout à l'autre, voilà une petite
sélection de phrases choc que l'on y trouve :
"Les jeux sont de plus en plus incroyables visuellement, mais de moins en moins intelligents."
"Au fur à mesure, ils ont augmenté les seins de Lara Croft [l'héroïne du jeu Tomb Raider, NDLR] et diminué la complexité."
"Aujourd'hui, je suis fatigué de cette boucherie permanente. Pourquoi les jeux vidéo sont-ils fait de 99% de massacres ?"
"le salut du jeux vidéo passera par le cinéma"
Il y fait aussi pas mal de publicité pour Heavy Rain, expliquant entre autre que ce dernier a pas moins de 2000 pages de scénario et que "c'est énorme".

En résumé, on est dans l'interview bien commerciale, bien navrante et à vocation publicitaire... Les propos, ici rapportés par Boris Manenti sont assez largement méprisants pour les créateurs de jeu vidéo et dénotent d'une certaine méconnaissance (d'une méconnaissance certaine) de l'univers vidéoludique (la plupart des phrases ici sorties de leur contexte sont strictement fausses ou infondées).

C'est je pense ce qui a agacé Eric Viennot (pourtant pas coutumier du fait) et l'a amené à s'en prendre nominativement à Mathieu Kassovitz.

Le billet de Viennot tient plus de l'exercice de style que du pamphlet, alternant un ton un peu neutre et formel avec des remarques un peu sarcastiques et tranchantes entre parenthèses.
Le mieux, c'est encore de le lire, mais sinon, ce que raconte Viennot, c'est principalement qu'il trouve cocasse ce brusque engouement alors que pendant des années les cinéastes ont montré un mépris sans bornes pour le jeu vidéo, mais surtout que pour arriver à faire quelque chose de bien dans le domaine du jeu vidéo, les cinéastes devront accepter d'apprendre un nouveau métier, car faire un jeu vidéo, ce n'est pas la même chose que faire un film.
Il termine son article ainsi :
« En conclusion, amis cinéastes, portés par le goût de l’aventure et de la curiosité, si vous voulez donner un coup de main, nous serons heureux de vous accueillir dans notre petite tribu. A condition que vous suiviez les traces de votre ami Steven et tentiez de comprendre ce qui fait la spécificité de notre art. Il pourra en sortir des associations intéressantes. Un renouvellement souhaitable (et au risque de vous décevoir, si ça foire, on continuera à se débrouiller tout seuls comme on l’a toujours fait ! Faut pas déconner quand même !) »

S'ensuit la réponse excédée de Mathieu Kassovitz, dans laquelle avec un ton relativement indigne de son talent, il explique à Eric Viennot qu'il n'avait jamais entendu parler de lui (pour quelqu'un qui prétend être un passionné du domaine, ça la fout mal), décrit avec force détails techniques (un peu trop pour être crédible peut-être ?) son aventure dans le monde vidéoludique, raconte qu'il est un inconditionnel de COD (qu'il qualifiait d'indigne du statut d'oeuvre d'art dans son interview), parle des jeux "pour enfant" de Viennot ("oubliant" In Memoriam) et se cache pas mal derrière David Cage qu'il porte au nues comme le messie.
« David Cage est un précurseur, il n'a rien a prouver et reste ouvert à la découverte, pas vous. »
« David Cage a eu l'intelligence de comprendre cette avancée et a ouvert les portes avec Fahrenheit auquel j'ai joué avec curiosité, pour aujourd'hui conclure avec Heavy Rain, que je considère comme la pierre angulaire d'un futur possible artistiquement parlant... »
« Malheureusement pour vous, je peut ressentir dans votre article la douleur de ne pas être celui par qui la révolution arrive. David Cage a pris cette responsabilité avec Heavy Rain. »
« Malgré tout, vous n'êtes, ni ne serais jamais le précurseur de cette révolution tant attendue, que Heavy Rain inspire pour tout les cinéastes du monde entier... »

Cette débauche de grossièreté, de fautes d'orthographes et d'enfantillages avait amené bien légitimement la question suivante : s'agit-il vraiment de Mathieu Kassovitz ?
Les gens habitués à lire feu le blog de Kassovitz étaient habitués aux fautes d'orthographe et aux articles rédigés sur un coup de tête sans grand discernement, mais c'était un peu faible comme indice.

Mais voilà que tout récemment, Eric Viennot et David Cage ont donné une interview sur GameBlog (en podcast), et fatalement la question a été abordée (à 1:05 environ, tout à la fin). Et à ma grande surprise, David Cage n'a pas du tout démentit qu'il s'agissait bien de Mathieu Kassovitz, bien au contraire (moi je pensais que c'était bien lui, mais qu'il ferait genre "c'est pô moi").

On peut se demander pourquoi David Cage défend Kassovitz bec et ongles (tout en clamant son respect pour le travail d'Eric Viennot). Parce qu'il sait qu'il ne se fâchera pas avec Viennot ? Par intérêt économique (moi je trouve l'adulation de Kassovitz pour Heavy Rain suspect) ? Parce qu'il n'est pas défendable ?
En dehors de ça, il rappelle que les créateurs de jeu ont eux aussi des choses à apprendre des cinéastes, même pour faire du jeu vidéo.
En tout cas, j'aime bien ce qu'en dit Viennot, dans une volonté d'apaisement lui aussi, mais assumant très bien son propos initial et rappelant qu'il concluait son billet de blog par une invitation.

Mais quelle histoire !